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Les architectes du Mouvement Moderne, qui ont poussé ces expériences à l’extrême, ont toujours tiré parti des matériaux, des techniques d’assemblage et des nouvelles possibilités offertes par l’industrie à l’architecture. Il n’est donc pas surprenant de voir la comparaison entre le profil métallique d’une fenêtre industrialisée et un moteur Bugatti dans les pages de *Vers une Architecture¹⁷*. Ils acceptaient et incorporaient des produits innovants comme nouveaux composants de leur architecture et, en cas de manque de réponse du marché industriel, étudiaient et développaient de nouveaux systèmes avec des caractéristiques architecturales pertinentes. C’est précisément ce qui s’est passé avec la fenêtre horizontale, pour laquelle Le Corbusier et Pierre Jeanneret ont conçu et promu des châssis coulissants. En juillet 1926, ils ont breveté une fenêtre coulissante avec un nombre illimité de vantaux mobiles¹⁸, appliquée à la Villa Cook à Boulogne-sur-Seine (France, 1926-27). Ils ont également développé un ensemble de plus de vingt solutions techniques pour les fenêtres coulissantes, parmi lesquelles un cadre en anticorodal, un alliage d’aluminium, fabriqué par Ernst Koller avec deux verres parallèles Saint-Gobain (1928-29). En 1927, les architectes parisiens ont même signé un contrat commercial avec Saint-Gobain concernant leur brevet. Et ils n’étaient pas les seuls à développer des fenêtres métalliques coulissantes, car à la même époque, des entreprises comme Artaria & Schmidt à Bâle, et Wanner à Genève poursuivaient également cette voie.¹⁹ Des années plus tard, de nombreux architectes et entreprises faisaient de même.
Ce fait témoigne de la proximité étroite entre le travail de conception des architectes et le développement de produits industriels au début du siècle, à une époque où la science commençait à permettre d’ingénier les propriétés des cadres. L’architecte suédois Sigurd Lewerentz est peut-être l’exemple le plus frappant de cette collaboration étroite, ayant passé sa vie à partager son travail avec le développement et la fabrication de cadres de fenêtres en métal. Les profils d’acier fins et les ferrures ingénieuses produits par Idesta, l’entreprise qu’il a fondée en 1929,²⁰ témoignent d’une rigueur et d’un désir d’innovation évidents dans le nombre de brevets enregistrés, et qui ont paradoxalement culminé dans l’utilisation de verre sans cadre sur des supports muraux dans ses dernières œuvres.
Cependant, les fenêtres horizontales reflètent également la préférence de l’architecture moderne pour les vantaux coulissants. En effet, la forme horizontale et les dimensions longitudinales des fenêtres modernes correspondaient à la réduction de l’épaisseur des nouveaux murs, imposant une solution où l’ouverture de la porte ou de la fenêtre ne réduisait pas l’espace intérieur utile. De plus, les solutions coulissantes, ne dépassant pas le plan d’action, répondaient à un besoin de longue date en éliminant les cadres saillants des ventilateurs pivotants, qui interféraient avec les stores, les moustiquaires, etc., comme indiqué dans un catalogue de 1912.²¹ Une variante abordable et relativement peu utilisée du XVIIe siècle d’un type de fenêtre à guillotine utilisée aux Pays-Bas et dans le Yorkshire a donc été récupérée et perfectionnée.²² Les portes coulissantes étaient une invention ancienne – avec des exemples dans la Grèce et la Rome antiques²³ – et assez populaires en Grande-Bretagne à la fin du XIXe siècle et au début des années 1900²⁴, en particulier dans les salons des maisons victoriennes, mais leurs performances en termes d’étanchéité, d’acoustique et de perméabilité à l’air étaient toujours inférieures à celles des portes et fenêtres à battants (côté ouvrant et dessus ouvrant).
Ce fait a limité son application vers l’extérieur, sauf dans les bâtiments industriels et les véhicules. La surface d’ouverture inévitablement réduite par rapport à la fenêtre traditionnelle en hauteur semble également justifier ce fait.
Curieusement, des décennies avant Le Corbusier, le Dr Karl Turban et l’architecte Jacques Gros avaient déjà ressenti le besoin d’adopter un nouveau type de fenêtre dans leurs sanatoriums pour la cure de la tuberculose dès 1902.²⁵
Des portes et fenêtres pliantes et coulissantes sont ainsi apparues (Fensterkonstruktionsvorschlag), avec la particularité de permettre l’ouverture complète des cadres de fenêtres composés de plusieurs vantaux.²⁶
Quoi qu’il en soit, la forme longitudinale et les grandes dimensions des baies du Mouvement Moderne, soutenues par la disponibilité de nouveaux matériaux et leur amélioration progressive – tels que les roulements, les joints et, surtout, les grandes feuilles de verre – ont légitimé l’utilisation de la fenêtre coulissante horizontale comme invariant dans toute l’Europe au cours des décennies suivantes, notamment dans la période d’après-guerre.²⁷
Les cadres de fenêtres développés par Le Corbusier et Pierre Jeanneret consistaient en des systèmes avec un nombre illimité de vantaux et pouvaient également inclure un mécanisme pour actionner la fenêtre par une manivelle, comme utilisé dans la grande fenêtre coulissante en acier de la Villa Savoye (Poissy, France, 1928-31) pour déplacer un énorme vantail de 4,65 x 3,5 m, composé de deux panneaux de verre de 2,3 x 3,5 m.²⁸ De plus, l’automatisation des fenêtres coulissantes était un aspect fondamental de la fenêtre mécanique corbusienne. Cette fonction était déjà proposée pour les fenêtres des automobiles, dont Le Corbusier était un grand enthousiaste.²⁹ Il n’est donc pas surprenant qu’il appelle à la contribution de l’industrie automobile à la modernisation de la technologie du bâtiment, soulignant la possibilité d’ouverture mécanique des fenêtres.
« Que Renault, Peugeot, Citroën, que le Creusot ou l’un des grands métallurgistes organisent l’industrie dans le bâtiment ! La fenêtre considérée comme une mécanique. Glissement automatique, herméticité. Nous doter d’une fenêtre mécanique ! […] Attention ! Les fenêtres ne doivent plus ouvrir à battants à l’intérieur des chambres qu’elles encombrent, ou à l’extérieur des façades. Elles doivent glisser latéralement (la première seule peut pivoter). […] La fenêtre est l’élément mécanique-type de la maison. On presse un bouton, ou plus simplement, on tourne une manivelle, et les fenêtres glissent doucement, s’ouvrant ou se refermant… » ³⁰
Curieusement, dans sa résidence à Herqueville en Normandie (France, 1906-39) – où Jofebar est intervenu en 2014³¹ – Louis Renault lui-même a installé une fenêtre en acier avec deux vantaux coulissants actionnés mécaniquement par crémaillère, chaîne et manivelle, exactement comme l’appel à l’action de Le Corbusier.
Des années plus tard, de nombreux architectes et entreprises ont développé des fenêtres coulissantes horizontales en métal. Détails pour une maison à Chipperfield, Hertfordshire, par Maxwell Fry, 1935. Publié dans Mildred W. White, Working Details I – Domestic, Londres, The Architectural Press, 1939.
17. Le Corbusier, « Architecture ou Révolution » (Architecture ou Révolution), dans Vers une Architecture, Paris, G. Crés et C.ie, 1923, p. 238.
18. Brevet FR619254 (A) – 1927-03-30, « Châssis de fenêtre à coulissement horizontal » (Châssis de fenêtre à coulissement horizontal).
19. Les fenêtres d’Artaria & Schmidt étaient suspendues par le haut pour éviter l’usure visible des rails inférieurs, tandis que les fenêtres brevetées par Le Corbusier et Pierre Jeanneret utilisaient des roulettes inférieures. Les fenêtres de Wanner utilisaient également des roulettes inférieures et des roulements à billes conçus par les architectes parisiens. 20. En 1929, Lewerentz a enregistré Idesta, un nom commercial pour le développement de détails de construction. En 1930, il a fondé l’entreprise de construction BLOKK et, en 1933, IDESTA Inc., qu’il a conservée jusqu’en 1956, année où il l’a transmise à son fils Carl. En 1940, il a acheté une usine, afin d’avoir un contrôle total sur les différentes étapes de production. Ses recherches sur les innovations pour les portes, fenêtres et cloisons en verre ont conduit à l’enregistrement de nombreux brevets. Voir : Janne Ahlin, Sigurd Lewerentz architect 1885-1975, Massachusetts, MIT Press, 1987.
21. Cette référence est faite dans un catalogue américain dès 1912, lequel mentionnait également que les « Horizontal Sliding Sash » (Châssis Coulissants Horizontaux) « sont particulièrement adaptés à une utilisation dans les murs latéraux et les toits en shed des laminoirs ». United Steel Sash, Trussed Concrete Steel Co., Detroit, 1912, p. 41.
22. Les fenêtres coulissantes en bois ont été principalement utilisées dans les constructions rurales (cottages). Maurice Wilmore Barney a identifié le premier exemple à Moss Farm, près de Doncaster (Royaume-Uni), vers 1705. M. W. Barney, The English Farm House and Cottage, Londres, 1961, pp. 263-64, cité dans M. Tutton, E. Hirst (éds.), Windows: History, Repair and Conservation, Londres et New York, Routledge, 2007, p. 56. Cependant, il est discutable de savoir si son origine serait aux Pays-Bas ou au Royaume-Uni, notamment parce que ce type de cadre est également connu sous le nom de « Yorkshire sash » ou « Yorkshire slider », vraisemblablement en raison de son utilisation répandue dans l’architecture vernaculaire de ce comté au cours des XVIIIe et XIXe siècles. Voir à ce sujet : Lisa Jardine, Going Dutch: How England Plundered Holland’s Glory, Harper Press, 2008.
23. Des rails de portes coulissantes romaines peuvent être vus à Pompéi, témoignant de la présence de systèmes coulissants au $I^{er}$ siècle après J.-C.
24. Il est intéressant de noter que, dans les dernières décennies du $XIX^{e}$ siècle, il existait d’innombrables brevets relatifs aux ferrures et aux systèmes pour fenêtres coulissantes, ce qui indique un intérêt croissant pour ce type de fenêtre. Voir, par exemple : GB189401724A – « Improvements in or relating to Sliding Windows, Skylights, Doors, and the like » (Améliorations concernant ou relatives aux fenêtres, lucarnes, portes, etc., coulissantes), par Peter Shippobottam en 1894.
25. Plusieurs auteurs soulignent que les idées développées pour l’architecture des sanatoriums – axées sur un vitrage généreux pour l’éclairage naturel et de grands balcons pour la vie en plein air – ont été incorporées par les architectes du Mouvement Moderne, notamment Le Corbusier et Pierre Jeanneret à la fin des années 11920. Voir : Quintus Miller, « Das Sanatorium Schatzalp. Ein Beispiel zwischen Klassizismus und englischer Wohnlichkeit » (Le Sanatorium Schatzalp. Un exemple entre classicisme et confort anglais), Archithese, n$^{\text{o}}$ 2, 1988, pp. 50-56 et Margaret Campbell, « Strange Bedfellows: Modernism and Tuberculosis », dans Giovanna Borasi et Mirko Zardini (éds.), Imperfect Health – The Medicalization of Architecture, CCA/Lars Müller Publishers, 2012, pp. 133-151.
26. Authorship of this type of window is credited to Turban and Gros in: A. Corboz and G. Mörsch, Espoir: Sanatorien, PhD thesis, ETH Zürich, 1984, p. 421, quoted in Margaret Campbell, “Strange Bedfellows: Modernism and Tuberculosis”, in Giovanna Borasi and Mirko Zardini (eds.), Imperfect Health – The Medicalization of Architecture, CCA/Lars Müller Publishers, 2012, p. 144. Une version plus développée a été brevetée en 1923 (US1559544 A) par Charles Bock pour Andrew Hoffman Mfg. Co.
27. Une compilation intéressante de détails techniques de portes et fenêtres coulissantes pour bâtiments, entrepôts industriels et véhicules se trouve dans : Adolf Schneck, Fenster aus Holz und Metall (Fenêtres en bois et métal), Stuttgart, J. Hoffmann, 1932 ; Adolf Schneck, Türen aus Holz und Metall (Portes en bois et métal), Stuttgart, J. Hoffmann, 1933.
28. Le verre était alors généralement limité à la norme américaine de 100 in x 144 in, soit 2540 mm x 3658 mm.
29. Le Corbusier a directement honoré l’usine d’André Citröen – pour la production en série de véhicules (1919) – en attribuant le nom de « Maison Citrohan » (1920) à son prototype de maisons standardisées. Il a également collaboré avec les frères Gabriel et Charles Voisin, producteurs d’automobiles et d’avions, pour lesquels il a dessiné les poignées de porte des premiers véhicules. De plus, Gabriel Voisin, ami de Le Corbusier, a également financé son “Plan Voisin” (1922-25), une étude urbaine pour Paris basée sur l’automobile. Le Corbusier a ensuite conçu le projet d’une Voiture Minimum (1936), une petite voiture économique, précurseur de la Volkswagen Coccinelle et de la Citroën 2CV. Voir à ce sujet : Antonio Amado, Voiture Minimum: Le Corbusier and the Automobile, MIT Press, 2011.
30. Le Corbusier : « Appel aux Industriels » (Appel aux Industriels), dans Almanach d’Architecture Moderne, « Collection de l’Esprit Nouveau », Paris, Éditions Crès et C.ie, 1925, pp. 102-3 (l’italique est de L-C).
31. Jofebar a installé un PanoramAH! Fenêtre à cadre 38 avec trois vantaux coulissants dans la zone de service du Château d’Herqueville. La fenêtre coulissante avec manivelle, située dans la maison principale, a été restaurée et maintenue en place car elle est protégée en tant qu’élément patrimonial.